Homophobie ordinaire : les micro-agressions du quotidien

Erwan et son mari Cyril en voyage à Rome

Dans mon dernier roman, “Change Rien”, j’ai choisi de mettre en scène deux personnages amoureux, Maxime et Sébastien, victimes d’actes d’homophobie d’une violence insupportable. Deux moments du roman, pourtant, se distinguent par leur banalité. Un chauffeur Uber qui les traite avec dégoût, un homme sur un parking d’autoroute qui agresse verbalement Maxime. Ces scènes, banales pour beaucoup, illustrent ce que l’on appelle l’homophobie ordinaire.

Dans la réalité de ma vie quotidienne, je suis loin, aujourd’hui, de la violence que subissent Maxime et Sébastien. À 52 ans, je suis marié depuis près de dix ans à un homme que j’aime. Cyril et moi vivons une vie plutôt paisible dans la banlieue de Lille, baignés dans l’amour de notre famille et de nos amis proches. Pourtant, même ici, dans notre cocon de sérénité, l’homophobie s’invite dans notre quotidien. Elle se glisse dans des situations banales, se cache derrière des gestes ou des choix anodins, des paroles insidieuses, des regards lourds de sens.

Prenons, par exemple, les formulaires de l’administration française qui, souvent, ne connaissent que Monsieur et Madame pour les couples mariés. Un choix de formulation simple, mais qui exclut implicitement les couples de même sexe comme le nôtre, à l’instar de la plupart des assurances, banques, établissements de crédit, j’en passe.

Il m’aura fallu trois emails au premier fournisseur d’électricité national pour que nous deux noms apparaissent sur notre facture sans qu’ils soient précédés d’un étrange “M et Mme”. Sympathique, quand ces fameuses factures font office de preuve de domicile.

Que dire du réceptionniste d’hôtel d’un grand groupe hôtelier qui lève un sourcil lorsque nous vérifions que notre chambre dispose bien d’un grand lit pour deux ? Une réaction instinctive peut-être et il se rétablit vite avec un sourire, mais le malaise est déjà là et j’ai envie de faire demi-tour.

C’est aussi le malaise qui s’installe lorsque, dans le cadre professionnel, on remarque mon alliance, qu’on me demande ce que fait mon “épouse” et je réplique “mon mari travaille dans les ressources humaines”, les regards se voilent un court instant, la conversation se crispe. Ou alors, je suis béni d’un “Ah bon ? J’aurais jamais cru !”, comme si ma sexualité devait répondre à des critères de comportement ou pire de gestuelle ou encore vestimentaire ? Quoi ? Cela vous surprend que je sois Directeur informatique ? Ah non, je suis un peu artiste, alors ça va, ça rentre dans les cases… Les préjugés ont la vie dure.

Que dire enfin de l’inconfort des ouvriers qui viennent installer les nouvelles portes-fenêtres de notre maison, qui les rend maladroits, distants, mal à l’aise ?
Ou du sourire en coin du président de séance lors de la réunion de copropriété lorsque je lui dis que Cyril et moi avons emménagé il y a déjà deux ans. Un sourire qui, en quelques secondes, transforme notre foyer en une curiosité.

Et pour finir, alors que tu demandes un simple renouvellement de passeport, bizarrement la mention « époux » s’est transformée en « usage » devant ton nom de mec marié. Pire, on te demande de justifier le pourquoi tu avais demandé cette mention. L’ANTS fait ses choix sans tenir compte des tiens. J’attends donc à nouveau cinq semaines sans aucune garantie que mon nom d’époux soit clairement indiqué sur mon prochain passeport. La saisine du médiateur n’est pas loin si je n’obtiens pas ce que je demande…

Toutes ces petites choses, ces micro-agressions quotidiennes, nous rappellent constamment que nous sommes perçus comme différents. Elles sont là pour nous montrer que même si nous avons le droit de nous aimer, voire, en déplaise encore à certains, de nous marier, notre existence, notre amour dérange : nous sommes une anomalie.

Cela faisait un long moment que j’avais envie d’écrire sur le sujet. Pourtant, j’avais jusqu’ici imaginé mon activité artistique comme un moyen de divertir, de raconter des histoires, pas comme un geste “politique” ou d’engagement.

Qu’est-ce qui m’a fait basculer de l’autre côté ?

La peur viscérale que j’ai ressentie le jour où le “Mariage pour Tous” a été voté en France. J’étais persuadé qu’il valait mieux ne pas sortir pour célébrer cette victoire, persuadé que certaines factions attendaient cette opportunité pour aller “casser du pédé”. J’ai eu malheureusement raison : du sang a été versé cette nuit-là.

Ce vote, bien qu’il m’ait permis d’épouser Cyril — et par là-même de nous mettre à l’abri en cas de décès — je l’ai vécu comme le moment où l’homophobie latente qui se cachait dans la société française s’est révélée au grand jour.

Il m’aura fallu presque dix ans pour aller au bout du geste et écrire “Change Rien“. De longues années durant lesquelles j’ai vu l’individualisme et l’intolérance monter en puissance. J’ai longuement hésité, ne me sentant pas à la hauteur. Qui suis-je, après tout pour faire la leçon à qui que ce soit ?

Mais l’histoire a eu raison de moi. La nécessité de montrer ces réalités, de tenter de sensibiliser, ont pris le dessus. En France, en 2023, des gens se font encore agresser, insulter, tabasser, se suicident parce qu’ils sont différents. Il est essentiel que nous prenions tous conscience de l’impact de nos paroles et de nos actes, aussi anodins soient-ils. Car chaque regard, chaque mot, chaque geste a un poids. Et il est temps que nous reconnaissions tous ensemble que l’homophobie, aussi ordinaire soit-elle, est une forme de violence qui n’a pas sa place dans notre société.

Nous autres, membres de la communauté LGBTQ+ tentons tous d’ignorer ces petites humiliations autant que faire se peut. Mais elles se gravent dans nos esprits et, à force de répétition, attaquent, telle la vague qui use la falaise, notre sentiment d’appartenance à cette société dans laquelle nous tentons simplement d’exister.

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